Histoire du lavoir public de l'Etang à Ménival
Article proposé par ARHOLY

Dans le quartier de Ménival, un lavoir public recueillant les eaux descendant du Point du Jour est construit en 1864 en face d'un petit étang existant au bord du chemin. Né d'une souscription en nature puis aménagé par la ville de Lyon, il a rendu de nombreux services aux habitants à la fin du XIXe et au début du XXe.

Histoire du lavoir public de l’Etang

Depuis les temps les plus reculés la lessive s'est faite autour des points d'eau, fontaines, mares, étangs ou ruisseaux plus ou moins bien adapté à cet usage sur une pierre inclinée ou une planche.

Les premiers bâtiments réservés au lavage n'apparaissent qu’au siècle des lumières. A la différence du moulin ou du four banal, le lavoir s'établit sur l'usage gratuit de l'eau pour tous. Ainsi, après la révolution le lavoir devient un symbole de l'accès égalitaire à l'un des plus précieux biens naturels : l'eau C'est principalement sous l'impulsion du fort mouvement hygiéniste créé au début des années 1850 que se développe la construction de lavoirs aménagés et fonctionnels. C'est en effet à cette époque que l'on prend conscience du fait que l'utilisation indifférenciée des points d'eau favorise les épidémies de choléra, variole et typhoïde qui sévissent encore trop souvent[1].

Origine du lavoir

Le cadastre de 1831 présente le long du chemin de l’Etang[2] une zone aquatique à l’est composée d’une petite structure rectangulaire de 60 m² du côté de la ville de Lyon et d’une pièce d’eau d’environ 250m² à l’ouest, semble-t-il aménagée, du côté de la commune de Tassin. On distingue clairement deux sources ou résurgences donnant naissance à deux petits ruisseaux qui alimentent une saussaie[3] et un bassin, propriétés de M Justinien Rieussec, avocat.

Cette grande mare existait déjà un siècle plus tôt comme on peut la deviner sur la carte de 1730. Ce pourrait être l’origine du toponyme « chemin de l’Etang ».

Aménagement du chemin de l’Etang

Dans les années 1860, l’accès au chemin de l’Etang est difficile et la gestion de l’eau d’irrigation devient conflictuelle[4].

Il faut donc envisager la restauration du chemin de l’Etang car la rareté de l’eau dans ce quartier oblige à réserver des emplacements pour faciliter aux cultivateurs le puisage de l’eau. La source ne suffit pas à l’alimentation des tonneaux qui stationnent souvent plusieurs heures. Il faut prévoir la construction d’un réservoir dans lequel on pourra puiser plusieurs à la fois. En septembre 1863, il est précisé à Mr le Sénateur que la construction du mur de clôture de la propriété du couvent du Bon Pasteur nécessite l’élargissement immédiat du chemin sur la propriété de Mr Rieussec pour que la circulation ne soit pas interrompue. Cet élargissement et son empierrement nécessiteront du remblais que l’on ne pourra se procurer qu’en les empruntant dans une propriété située le long du chemin des Noyers appartenant au Sieur Bussac, charcutier, montée de la grande côte n°122 à Lyon. Cette propriété est plantée de quelques mauvais buissons et de quelques plants de vignes très anciens et qu’il faudra arracher sous peu. La propriété n’a aucune habitation et le dommage qu’on causera sera de peu de valeurs.

Par courrier du 4 décembre 1863, le préfet s’adresse à monsieur le Voyer[5] en Chef à propos d’une souscription. « J’ai accepté les offres de 206 Fr faites par les habitants du quartier des Battières en vue de concourir à l’exécution des travaux nécessaires pour faciliter l’usage des eaux qui existe aux abords du chemin rural n°82 dit « de l’Etang ». Je demande les numéros d’ordre, les noms, prénoms, professions et demeures ainsi que le montant des dotes des habitants ». 

Construction du lavoir

Par ailleurs, une souscription en nature est proposée : 200 kg de ciment par Estertin, fabricant de Fayence, de la chaux par Caillou Claudius, des pierres par Durand Fils à Tassin. Les travaux de maçonnerie (la construction de l’aqueduc, du lavoir et du mur de clôture) sont exécutés en 1864 par Fauches maître maçon à la Demi-Lune. Les chenaux sont posés par l’entreprise Nicolas, ferblantier, lampiste 25 rue Dubois à Lyon, pour une facture de 149,75 Fr.

Par courrier du 13 mai 1864, il est signifié à Monsieur le Voyer en Chef que le chemin dit de l’Etang est classé au n°5 et suivants, sous la dénomination de « chemin de la Pomme », tendant du chemin des Aqueducs n°4 au chemin des Battières, aujourd’hui chemin d’intérêt communal n°3. Le bureau du Voyer en Chef répond le 27 mai 1864 que le chemin vicinal n°5 de Tassin n’est que rural sur Lyon sous la dénomination de chemin de l’Etang n°82. L’arrêté du 8 janvier 1863 fixe l’alignement du mur de clôture de la propriété du Bon Pasteur.

L’aménagement de ce chemin est prévu dans sa longueur de 247m et dans sa largeur de 8m, ainsi que celui du chemin du Pont d’Alaï. La dépense totale évaluée à 3300 Fr, sera imputé pour 396 Fr sur le produit des souscriptions volontaires et pour le solde sur le crédit ouvert sur le budget municipal. L’accord des propriétaires est obtenu. Jean Marie Auberthier, propriétaire n°82, demande la reconstruction du mur à 0,50 m de hauteur et le replacement de son portail. François Justinien Eugène Rieussec, Conseiller à la Cour Impériale de Lyon et Anne Françoise Elisa Rieussec demandent que soit reconstruit leur mur, au-dessus de leur propriété, et le canal qui existe sous le chemin afin que leur pièce d’eau continue à être alimentée par les eaux provenant des propriétés supérieures.

Puisage abusif de l’eau

Eugène Rieussec, Conseiller à la Cour Impériale, écrit le 31 juillet 1864 à Monsieur le Voyer en Chef pour lui signaler que les acquéreurs, les sieurs Simon, Joyet et Ferlat se plaignent qu’on leur enlève toutes les eaux, et pour lui rappeler qu’il devait mettre un terme à cet abus. Les eaux qui alimentent la pièce d’eau découlent d’un pré supérieur appartenant à Mr Rieussec. En août 1864, le préfet approuve deux devis des travaux à exécuter aux frais de la ville : le premier, pour reconstruire les murs de clôture des propriétés Rieussec et Auberthier ; le deuxième précise les travaux nécessaire pour couvrir le lavoir. Ces travaux ne peuvent être faits convenablement que par des ouvriers choisis. Le cout total sera de 2982,98 Fr.

De plus, plusieurs propriétaires des terrains situés en aval du chemin sont venus près du conseiller se plaindre de l’enlèvement des eaux qui alimentent le lavoir. Ils ont montré des titres desquels il résulte qu’ils ont acquis le droit d’interdire l’enlèvement des eaux. D’un autre côté, des propriétaires de ce quartier prétendent avoir acquis par prescription le droit de puiser de l’eau en amont du lavoir et d’avoir usé de ce droit depuis des temps immémoriaux. En présence de ces prétentions, le conseiller se borne à interdire autant que possible l’enlèvement de l’eau destinée à la vente, et à laisser puiser provisoirement les propriétaires du quartier qui en ont besoin. Il va proposer l’établissement d’une réserve, car il serait difficile, en raison de la sécheresse actuelle et du manque d’eau de ce quartier, d’interdire le puisage. En construisant le mur de clôture de la propriété du monastère du Bon Pasteur, il a été réservé l’emplacement d’une pièce d’eau qui existait avec l’aide d’une souscription des propriétaires voisins, et on a pu établir un lavoir public qui rend dans ce quartier les plus grands services. Ce lavoir est alimenté par les eaux qui proviennent du pré du monastère, autrefois à Mr Rieussec, et qui s’écoule ensuite dans diverses propriétés. Les titres de vente réservent aux acquéreurs des terrains inférieurs la jouissance des eaux, et interdisent l’enlèvement de l’eau avec des tonneaux. Des voituriers de différents quartiers viennent remplir des tonneaux d’eau pour arroser durant l’été leurs jardins, voir même d’autres parties de leurs propriétés de sorte que quelques fois, le lavoir n’est pas suffisamment alimenté.

Mesures de police

Dès mai 1865, le sénateur préfet signale à l’agent Voyer en Chef que si l’administration n’avait pas créé ce réservoir, elle n’aurait pas à intervenir pour empêcher ce puisage abusif, au préjudice des propriétés situées en aval. Il propose d’interdire par un arrêté de police, l’enlèvement des eaux du lavoir. Ce lieu étant éloigné de la ville, l’exécution de cette mesure de police aurait quelques difficultés sans la présence d’un agent spécial. Un moyen plus sûr serait de clore les abords au lavoir, et de faciliter ses accès par une porte fermant à clé. Il demande de prendre des dispositions pour prévenir des réclamations durant l’été prochain. Il est informé que les eaux ne suivent plus le conduit cimenté dans la propriété du couvent du Bon Pasteur d’où elles proviennent et qui est destiné à les faire arriver dans le réservoir. Il demande un rapport pour connaitre la cause des infiltrations et les travaux à faire pour rétablir l’alimentation de la voie.

Utilisation et multiples réparations du lavoir

En 1900, il est demandé à l’entreprise L. Canque, rue des Archers à Lyon, de rejointoyer et enduire les murs du lavoir, pour un devis de 298,64 Fr.

En septembre 1914, le rapport de l’agent voyer cantonal prend en compte la réclamation de Mme Lapalu, propriétaire à Tassin-la-Demi-Lune, chemin des Genetières, n°25, concernant le lavoir dont l’entretien laisse à désirer. Les recherches faites démontrent que cet ouvrage a été établi au compte de la Ville en 1864, sous la direction de Mr Ménot, agent voyer spécial de la banlieue de Lyon, et depuis cette époque, le service vicinal l’a fait réparer plusieurs fois, en raison de son utilité pour ne pas léser les intérêts des habitants du quartier.

Les travaux à exécuter comprennent le remplacement complet du carrelage au niveau du sol par un dallage en béton de ciment, ainsi que la réfection du mur de soutènement et celle de la toiture et des cheneaux. Ces travaux sont exécutés par Mr Canque Ermand, tâcheron, demeurant 2 rue d’Amboise à Lyon, pour 636,46 Fr.

En janvier 1924, Pierre de Gadelier, habitant Villa des Thermes, chemin de l’Etang, signale que le lavoir est inutilisable à la suite de l’inondation du passage. De plus, il se forme au fond du lavoir des dépôts de toute nature qui le rendent contraire aux prescriptions hygiéniques. Le pétitionnaire prie de bien vouloir déboucher le canal d’évacuation des eaux usagées, cause de la submersion du passage et de faire procéder au nettoiement du lavoir.

Le lavoir public nécessite des réparations régulières, en octobre 1935 et en décembre 1937. Le mauvais état de la toiture est signalé. Un devis pour la réfection du toit du lavoir est proposé en novembre 1937 par l’entreprise E. Champevert spécialisée dans les charpentes, menuiserie escaliers en tous genres et scierie, située au 20 impasse du Point du Jour (devis de 5000 fr : 4000 pour la ville de Lyon et 1000 pour Tassin). Cette dépense est jugée trop élevée. Il est donc décidé en 1938 de démolir la toiture du lavoir. Ces travaux sont confiés à l’entreprise Truffy Frères 26, avenue du Point du Jour pour 800 Fr.

Une fin programmée

Concurrencé par le travail des femmes et surtout l’arrivée des machines à laver et des poudres à laver, le lavoir de l’Etang n’a pas pu résister. Centenaire, il a été détruit vers 1965 au début de la restructuration immobilière et routière du quartier de Ménival. Il était situé 19 avenue Général Eisenhower à Lyon.

Les adductions d'eau combinée avec l'équipement en machine à laver ont condamné les lavoirs à l'obsolescence. Ces anciens lieux de vie sont devenus des lieux de silence. Les lavoirs sont condamnés à l'inutilité ; souvent, même le clapotis de l'eau a disparu. Certains lavoirs tombent en ruine, les toits s'effondrent, les ronces et les orties font le reste [6].

Pierre Limat / Christian Déal / ARHOLY / mai 2021 


[1] https://espritdepays.com/patrimoines-en-perigord/patrimoine-bati-du-perigord/les-lavoirs-du-perigord/breve-histoire-lavoirs

[2] Actuellement avenue Général Eisenhower, Lyon 5ème.

[3] Terme régional pour saulaie : lieu planté de saules.

[4] Aux Archives Municipales de Lyon, sous la cote 938WP le dossier 25 rassemble tous les éléments de ces aménagements.

[5] Agent municipal préposé à l’entretien de la voirie.

[6] ASERU ; Association pour la sauvegarde des édifices et des édicules ruraux.

Détail d'une carte terriste de 1730 montrant l'emplacement d'une pièce d'eau le long du chemin de l'Etang sur la paroisse de Tassin (ADMR 1J1699)
Détail d'une carte terriste de 1730 montrant l'emplacement d'une pièce d'eau le long du chemin de l'Etang sur la paroisse de Tassin (ADMR 1J1699)

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Détail du cadastre napoléonien de 1831 montrant deux sources et une pièce d'eau de part et d'autre du chemin de l'Etang (ADMR 3P999).
Détail du cadastre napoléonien de 1831 montrant deux sources et une pièce d'eau de part et d'autre du chemin de l'Etang (ADMR 3P999).

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Détail du plan parcellaire de la Ville de Lyon de 1920 montrant le lavoir semi circulaire et ses trois alimentations (AML 5S013).
Détail du plan parcellaire de la Ville de Lyon de 1920 montrant le lavoir semi circulaire et ses trois alimentations (AML 5S013).

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Plan du lavoir en 1863 dans la propriété du couvent du Bon Pasteur et la pièce d'eau de l'autre côté du chemin de l'Etang (AML 938WP25).
Plan du lavoir en 1863 dans la propriété du couvent du Bon Pasteur et la pièce d'eau de l'autre côté du chemin de l'Etang (AML 938WP25).

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Le lavoir de l'Etang en 1940 (ARHOLY cliché Garraud)
Le lavoir de l'Etang en 1940 (ARHOLY cliché Garraud)

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Le lavoir public en 1890. Une vue prise de l'emplacement de la tour des Battières. (ARHOLY cliché Gagneur)
Le lavoir public en 1890. Une vue prise de l'emplacement de la tour des Battières. (ARHOLY cliché Gagneur)

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Le lavoir de l'étang sur une photo aérienne de 1954 (Géoportail)
Le lavoir de l'étang sur une photo aérienne de 1954 (Géoportail)

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